Cap sur le paradis

Il y a la râle à poitrine blanche, le dernier oiseau incapable de voler encore en vie dans l'océan Indien, la légendaire coco de mer, qui ne provient cependant pas des mers ou encore la grenouille des Seychelles… Ces espèces endémiques ne sont pas les seuls points qui font des Seychelles une destination unique, mais elles y contribuent.

 

Texte: Caroline Schüpbach-Brönnimann

Photos: Lori Schüpbach/zvg

 

Le «Parana», un Lagoon 440, est prêt pour le départ dans l’Eden Island Marina située non loin de Victoria (île de Mahé). Le soleil tape fort. Pas un souffle sur l’eau. Mais heureusement, ce sera le seul calme plat des dix prochains jours. Nous saluons Anna, Flo, Bettina et Sophia. Nos coéquipières sont déjà assises dans le cockpit avec un verre de Takamaka. Et heureusement, ce ne sera pas la dernière fois des dix prochains jours. Un début de séjour paradisiaque.

 

Si la toute nouvelle Eden Island Marina affiche un look très international avec son complexe hôtelier et d’appartements, le rhum Takamaka est lui une véritable tradition des Seychelles: la canne à sucre est en effet cultivée ici depuis des siècles, même si ce n'est pas à la même échelle qu’aux Caraïbes. Le rhum Takamaka peut avoir différents arômes, mais qu’il s’agisse de noix de coco ou de mangue et qu’il soit blanc ou brun, il respire toujours le «Spirit of the Seychelles». Il ne nous reste plus qu’à découvrir quel sera le goût du reste de l'esprit des Seychelles.

 

Chaleur et couleurs

Indépendante depuis 1976, la République des Seychelles est cependant toujours membre du Commonwealth. L'archipel compte au total 91'000 habitants et 115 îles réparties dans l’océan Indien sur une surface de 400'000 km2 environ à la hauteur de Mombasa (Kenya). Ces îles sont subdivisées en deux groupes: les Inner Islands et les Outer Islands. Nous partirons à la découverte des Inner Islands. Cette région compte 32 îles d’une surface totale de 266 km2 réparties sur 31'000 km2 environ. Des distances impressionnantes et de rêve.

 

Nous nous installons dans notre cabine et nous quittons aussitôt au moteur notre marina bien protégée. L’océan est paisible, calme. A l’extrémité nord de Mahé, une île de granit baptisée L'Ilot nous invite à faire du snorkelling. Caractéristique unique au monde, de nombreuses îles des Seychelles sont composées de roche primitive granitique vieille de près de 750 millions d’années. Mais on y trouve également quelques archipels d’origine volcanique ainsi que des îles coralliennes. Mais assez parlé: nous mettons nos palmes et piquons une tête dans une eau à 27 degrés. Magnifique! Nous apercevons sous la surface  des coraux multicolores, des poissons perroquets, des poissons-chirurgiens et même une tortue de mer. Un monde sous-marin merveilleux, le bonheur à l’état pur! Un sentiment que nous retrouverons régulièrement les jours suivants. Nous ferons du snorkelling plusieurs fois par jour, profitant d’une visibilité incroyable sur les fonds marins, parfois même à une profondeur de près de 15 mètres, afin d’admirer ce monde du silence magnifique, multicolore, varié et parfaitement préservé: des requins de récif glisseront sous nos pieds, des poissons-flûtes fileront juste au-dessous de la surface de l’eau, des coraux géants nous renverront des reflets violets ou bleu, les ailes des raies onduleront dans des eaux cristallines, des dauphins sauteront au-dessus des vagues, des bancs de milliers de poissons frémiront dans l'eau, des tortues de mer viendront reprendre l'air juste à côté de nous et des platax insatiables dévoreront du pain rassis dans nos mains. Ces derniers seront d’ailleurs nos plus fidèles compagnons et se précipiteront à notre poupe à chaque fois que nous jetterons l'ancre. Trop affamés pour être timides… Sans compter qu’ils n’ont que les Russes à craindre: selon Silvio, notre skipper dans la région, aucun Seychellois n’attraperait et ne mangerait un platax, mais «les Russes mangent même ces omnivores».

 

Créole et toujours exotique

L’île de Silvio est La Digue. Il s’agit de la 4e plus grande île des Inner Islands située à près de 25 milles marins au nord-est de Mahé. Anse Source d’Argent est devenue très célèbre notamment grâce aux spots publicitaires de Bacardi et Rafaello avec une véritable plage de rêve. Paradisiaque. Silvio a travaillé pendant quelques années comme capitaine de cargo dans les Seychelles. Il est aujourd’hui skipper sur différents catamarans de charter. Après notre croisière, il partira pendant un mois avec une famille dans les Outer Islands, un archipel situé à près de 100 milles marins de là. Ils auront également un chargé de la sécurité à bord. C’est le règlement. Nous quittons cependant la localité principale de La Passe uniquement protégés par de la crème solaire et mettons le cap sur le sud-est à vélo en direction de Grand’Anse. Sur le chemin, nous croisons des charriots tirés par des bœufs (la circulation des voitures fait l’objet d’une réglementation stricte) pour enfin atteindre le Nid d’Aigle, le point le plus haut de La Digue. Nous avalons rapidement les 333 mètres de dénivelé avec nos VTT (une altitude peu élevée par rapport aux 905 mètres du Morne Seychellois sur l’île principale de Mahé). Nous entendons déjà le ronronnement de la mer. Grand’Anse est belle à couper le souffle et le déferlement des vagues est spectaculaire avec la mousson actuelle du sud-est. Les fantastiques formations de granite typiques des Seychelles et la cabane de plage installée provisoirement nous donnent l’impression parfaite d’être des Robinson sur une île déserte. Une nature à couper le souffle. Quant au poisson à la créole grillé au feu de bois, il nous donne toute l’énergie dont nous avons besoin pour le retour. Mais que peut-on bien vouloir de plus?

 

Peut-être un poisson que nous avons attrapé nous-mêmes et que Don, le cuistot du bord, un Seychellois lui aussi, mais originaire de Mahé, aurait parfaitement préparé? Et comme la situation se présente, nous dégustons déjà une bonite fraîchement péchée au petit-déjeuner. Le paradis de la pêche. Il suffit d'attacher la ligne à la main-courante et de la laisser traîner à la poupe pour qu’un magnifique spécimen de bonite morde à l’hameçon (même si ce n’est pas toujours le cas)… Pour le repas de midi, nous aurons encore deux autres spécimens attrapés à la seychelloise. La méthode est la suivante: des filets sont posés à proximité de la plage et sont ensuite tirés soigneusement par deux bateaux, puis par une dizaine d’hommes vers la plage. La surface de l’eau «bouillonne» déjà. Il est impératif de tirer les filets lentement et au même rythme. La totalité de la pêche finit sur la plage. Les poissons sautent, cherchent de l’eau, se tortillent. Des images peu agréables pour nos yeux d’Européens. Mais il est possible de faire autrement. Des bateaux de pêche au gros s’affrontent lors de la Fishing Competition avec à leur bord, des pêcheurs, des cannes à pêche et des lignes. Nous comptons 17 cannes à la poupe d’un bateau à moteur de près de 30 pieds de long. Dans le cockpit, le siège dirigé vers l’arrière pour attraper les prises fait penser à une chaise gynécologique. Comment serait-il possible autrement de faire monter à bord un marlin de près de trois mètres de long et 100 kilogrammes? La Fishing Competition n'est pas pour les petites natures. Les participants pêchent pendant 24 heures ce que la mer peut leur donner très loin au large. Puis les prises sont ramenées à terre, pesées et mesurées pendant des heures sous un soleil brûlant. A la fin, la plus grande et la plus lourde prise de chaque catégorie est désignée. Cet événement se déroule une fois par année pour une bonne cause. D’énormes quantités de poissons sont alors chargées sur des cargos au milieu des innombrables spectateurs et l'ambiance est à la fête jusque tard dans la nuit pour les Seychellois. Les poissons sont ensuite vendus aux enchères et la recette de la vente est versée à un orphelinat de Mahé. Un joli geste.

 

Autre joli geste, la magnifique table proposée deux fois par jour à midi et le soir par «notre» Don et ses petits plats créoles absolument divins. Don affiche toujours un grand sourire sur son visage accueillant, écoute de la musique créole très fort (à notre demande) dans la cambuse et se réjouit de nous surprendre en nous proposant une entrée de poisson cru particulière ou d’adoucir notre repas en nous offrant des morceaux de mangues fraîches. A noter que les Seychellois ne proposent pas beaucoup de fruits aux touristes. Ce qui pousse dans les jardins des îles est distribué et échangé entre les habitants: mangues, papayes, fruits d’arbre à pain (remplaçant plutôt les pommes de terre et surtout à l’origine de la mutinerie du Bounty), noix de coco, bananes. Beaucoup de fruits doivent être importés pour les touristes. Les mandarines et les ananas viennent par exemple d’Afrique du Sud. Mais nous avons la chance de manger également des petites bananes locales. Tellement douces et juteuses, avec un arôme divin.

 

Une bonne allure

Un touriste qui part à la découverte des Seychelles et ne visite pas La Curieuse n’aura vu que la moitié du paradis. C’est ici, à côté de la Vallée de Mai sur Praslin que l’on trouve le cocotier de mer endémique de l’archipel. Les grandes graines de ces arbres étant charriées depuis des siècles sur les plages des Seychelles, on pensait à l’origine que celles-ci poussaient en mer. Egalement nommées «noix des Seychelles», les fruits de ces arbres murissent en sept ans. Leurs graines peuvent peser jusqu'à 25 kilogrammes et sont les plus grandes graines d’arbres au monde. Avec leur forme caractéristique rappelant un bassin féminin, ces graines sont facilement utilisées pour présenter des bijoux et des souvenirs.

 

Sur La Curieuse, les tortues géantes des Seychelles vivent dans leur environnement naturel. Des touristes exubérants les touchent et les grattent facilement, et il semblerait qu’elles apprécient toujours plus cela avec l’âge (à partir de 100 ans et plus). Les mangroves confèrent à cet endroit une atmosphère pratiquement surréaliste, les plages sont intactes et plus blanches qu’ailleurs et la couleur de l’eau y est également incroyable. De toute beauté! Difficile de s'imaginer que La Curieuse était jadis la léproserie des Seychelles. Des maisons de médecins rappellent aujourd’hui encore les temps difficiles vécus au XIXe siècle.

 

Nous nous rendons compte, petit à petit, qu'une croisière en charter avec un équipage à bord d'un catamaran est bel et bien la meilleure solution pour voyager aux Seychelles. Et c'est tellement pratique de pouvoir compter sur notre skipper Silvio qui connaît les Seychelles et les eaux environnantes presque comme sa poche. Nous pouvons ainsi naviguer jusqu’aux plus beaux récifs (et naviguer dans des conditions lumineuses aussi changeantes n'est pas de tout repos pour les yeux). Nous pouvons également faire du snorkelling près d’Ave Maria, au large de Coco Island ou de Felicite sans devoir prévoir un transfert en bateau à moteur, nous avons la possibilité de mouiller dans les plus belles baies ainsi que de jeter un œil à des complexes hôteliers luxueux sans devoir affronter les va-et-vient des touristes. Il est bien sûr très agréable de s'adonner au pool sharing (bonne idée, Flo!) et de siroter des cappuccinos dans les complexes tropicaux des Hilton et compagnie (et ce même sous d’innombrables roussettes sur Silhouette Island), mais rien ne vaut un bon Takamaka sur les filets de notre Parana. Le paradis et rien d’autre! Et grâce aux connaissances régionales et météorologiques de Silvio, nous mouillons toujours dans la «bonne» baie: les Seychelles n’offrant pas de récifs au large et ne disposant que de quelques rares baies protégées, les conditions de navigation et les possibilités de mouillage varient énormément en fonction des périodes de moussons. La mousson du nord-ouest dure d’octobre à mars et est accompagnée de vents modérés de 8 à 12 nœuds. La mousson plus fraîche du sud-est dure quant à elle de mai à septembre et offre des conditions idéales pour naviguer à la voile avec des vents de 10 à 20 nœuds. Il est alors possible de faire du snorkelling et de passer des nuits tranquilles sur les rives ouest des îles. Entre ces deux périodes de mousson, le temps est relativement chaud et sans vent aux mois d’avril et d’octobre. La température de l’eau monte alors jusqu’à 29° C et il est possible de voir sous l'eau à une distance de plus de trente mètres. Le paradis du snorkelling.

 

La nuit, les skippers professionnels ne sont pas autorisés à naviguer par les entreprises de charter. Heureusement que cette règle ne s’applique pas aux dinghies: nous pouvons apprécier un magnifique coucher de soleil à Anse Lazio, faire nos achats de Takamaka à Anse Volbert et, grâce à Don, découvrir après minuit le Barrel Night Club de Victoria très apprécié des habitants.

 

Après toutes ses expériences et impressions paradisiaques, nous sommes contents d’apprendre que le gouvernement a déclaré réserve naturelle près de 230 km2 de surface d'eau et près de 50 % des terres. Les Seychelles présentent ainsi la plus grande proportion de réserve naturelle du monde par rapport à leur superficie. Il s’agit en outre du seul pays à avoir ajouté la notion de réserve naturelle à sa constitution. Nos petits-enfants sauront sûrement apprécier cet effort. C’est grâce à cela qu'ils pourront également dire: «Paradis, nous revoilà!»

 

Souhaitez-vous consulter davantage de comptes-rendus passionnants de croisières de nos membres? Devenez membre et recevez notre bulletin du club 6 fois par an.

 

Devenir membre